vendredi 21 juin 2013

Octave Uzanne hiverne à Saint-Raphaël de début décembre 1907 à fin avril 1908 - 35, Boulevard Félix Martin « sur le quai, à côté de l’hôtel des bains, face à la mer »



Carte postale annotée par Octave Uzanne
Adresse du 35, Boulevard Félix Martin, Saint-Raphaël (Var)
Archives départementales de l'Yonne, Auxerre (Fond Y. Christ)


Octave Uzanne écrit (*) à son frère Joseph une longue lettre pour lui raconter son installation dans son nid raphaellois où il va passer l'hiver 1907-1908. Lorsqu'il arrive à Saint-Raphaël à la fin du mois de novembre, il s'installe au 35, Boulevard Félix Martin, sur le quai, à côté de l’hôtel des bains, face à la mer (aujourd'hui Promenade René Coty, à l'angle de l'actuel Boulevard Félix Martin).

« j’ai trouvé logis selon mon goût, le premier que j’avais vu, hier matin, découvert à mon arrivée, sans agence, c’est un premier étage, (le seul de la maison) juste au dessus des bains de mer, face à l’immensité. C’est à la fois villa et appartement, mais, ça ne sent pas le locatis. Le propriétaire est un brave courtier maritime (Marcelin Simon) ; tout est en plein midi – c’est clair, gai, juste conforme à ce que je rêvais, en plein centre de St Raphaël – (adresse 35 Boulevard Félix Martin – Si ce logis ne m’était apparu, j’y aurais renoncé, car tout ce que j’ai vu à St Raphaël était ignoblement meublé, tapissé, agencé … et dieu sait ce que j’en ai vu ! de quoi me donner le dégoût des propriétaires qui osent louer de tels taudis et des locataires assez cochons et inesthétiques pour les occuper. [...] Seulement, le local en question est occupé ; les dames russes qui y sont ne partiront que mercredi 4 décembre, et, comme elles sont sales comme des Russes, je me suis entendu pour faire tout lessiver et blanchir, rideaux, couvertures, rabattre les matelas, tout à neuf. Naturellement j’ai la certitude qu’aucun phtysique n’habita ce local depuis que la maison est bâtie – il n’y vient que des locataires coutumiers de diverses saisons, de Draguignan, de Londres, gens qui crèvent de santé – (prix pour 5 mois : 900 frs – au lieu de 1 200) » écrit-il à son frère dans une lettre non datée (fin novembre 1907)


Il reste à cette adresse jusqu'au 27 avril 1908 pour revenir vers Paris où il prépare la vente de ses objets et son déménagement pour les hauteurs de Saint-Cloud. Octave Uzanne reviendra à cette adresse l'hiver suivant.


Cette lettre nous montre quelqu'un qui oscille entre joie de vivre au calme dans le soleil du midi et misanthropie affirmée. « L’inanité et la malfaisance de la plupart des relations sociales m’apparaissent aujourd’hui avec une limpidité extrême » écrit-il.

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Le front de mer - les Bains à St-Raphaêl (vers 1910)
Saint-Raphaël – Ce 7 décembre 1907

Mon cher frérot,

Ce fut, c’est encore une véritable installation que la mienne, avec mes colis petite et grande vitesse, les meubles mis à ma convenance, les calfeutrages, les cloutages. Depuis deux jours et demi je déploie une activité fébrile pour tout arranger et surtout classer mes montagnes de papiers apportés ici en vue de les classer pour les travaux d’hiver.
Au milieu de ce fouillis, j’écris dans mon lit le matin lettres et articles, face à la mer, en furie depuis hier, mais avec ciel bleu et clair soleil dès 7 ½ chez moi jusqu’à 3 h après midi.
Les 3 dames russes, qui étaient ici depuis un an, car elles sont restées un an à St Raphael, pour fuir la révolution russe, étaient sales comme des Russes. Elles ne sont parties que jeudi matin et auraient voulu encore rester, mais j’ai été impitoyable avec ces pestes, sales, désagréables, vaniteuses quoique parées ne songeant qu’à paraître. J’ai donc eu, deux jours durant, et plus, 3 femmes de ménage et la petite bonne de ma propriétaire qui sous la direction et à la charge de celle-ci, ont tout lessivé, lavé à grande eau, encaustiqué, etc. – Tout était déjà prêt pour quelques pièces, literie rebattue, linge rideaux blanchis, etc ; mais tout était en l’air au milieu de ces ménagères méridionales amusantes de jacasseries et j’étais un instant si embêté que je serais parti à Agay pour 2 ou 3 jours si le temps avait été moins venteux. Enfin les tapis ont été posés dans mon cabinet hier, le soir, j’ai pu faire du feu, signer des papiers avec le gaz, installer lampes, bec Visseaux incandescent dans ma salle à manger et j’ai diné chez moi hier soir pour la 1ère fois. J’avais entre temps fait provision de bois, charbons, pommes de pin ouvertes et fermées, d’épiceries à « la coopérative » et ma maison est aujourd’hui archi-montée. Je n’ai plus qu’à vivre, ranger, classer, coller des papiers, bourrelets, perfectionner mon installation. Tout cela ne me fatigue pas, car, avec le bon air, il me semble avoir 20 ans et être infatigable – la brise marine m’a fait oublier les dépressions et les fatigues, je me sans allègre et tout à fait bien.
J’espère, tout ceci fait, être très heureux dans mon petit nid et n’avoir plus qu’à éviter les raseurs et les ennuyés qui se collent toujours aux forts et aux heureux avec une insistance effroyable.
J’étais menacé par Mme Ménard, de Barbizon, par une autre dame jolie, coquette, flirteuse, Mme Dulong, la femme de l’architecte du Pavillon bleu, qui se proposait de venir en « bonne camarade » passer aux alentours de ma vie quelques semaines, toute seule, avec les intentions que tu devines. J’ai écrit à tous ces gens (car il y en a d’autres) que, invité à inaugurer le nouveau Steamer Héliopolis, je partais pour l’Egypte où je resterais un temps indéterminé – je te dis ça afin que si on te disait, à toi ou à Angélo, que je suis en Egypte vous soyez de connivence. Détourne plutôt de moi les « amis » qui viendraient vers le midi – Je me charge tout seul d’occuper mes 4 à 5 mois.
Je veux, de plus en plus, vivre pour moi, mon travail, et ne rien accorder à tant de gens qui ne sont crées que pour vous faire perdre un temps dont ils ignorent et ignoreront toujours la valeur – L’inanité et la malfaisance de la plupart des relations sociales m’apparaissent aujourd’hui avec une limpidité extrême, comme je ne connais pas l’ennui, que mon cerveau fonctionne assez bien pour me distiller des joies infinies, je n’ai besoin d’aucun bavard autour de moi – mon brave propriétaire, ex-patissier devenu courtier maritime, et sa femme, de Draguignan, me font plaisir à voir et à entendre par la simplicité de leur intellect et la netteté de leur honnêteté – Ah ! la conception de la vie des êtres simples, comme elle est supérieure à celle des citadins ! – les petites gens du peuple ici me donnent un plaisir infini. Je leur cause longuement. Ils sont assez fins, très drôles de langage chantant, d’idées ; ils sont serviables à l’excès, « braves » comme on dit dans le midi, et comme les latins ils sont familiers simplement ignorants de ce que l’on nomme ridiculement les classes. De fait, il n’y en a pas. Il y a de bien gentilles filles à Raphaël, et coquettes et pépiantes comme des oiseaux, avec elles, aussi, je m’en donne, aimant à voir leur œil vif, leur sourire clair montrant de jolies dents. J’adore cette population ; je donnerais les 5/6e des parisiens que je connais pour ces individualités frustes, dignes et qui ont un caractère qui me plait.
Adieu, je vais returbiner à mon installation – j’ai reçu une carte de Mariani ; remercie-le. Il me dit que tu mets les bouchées doubles pour partir avec lui le 20 – Si tu le veux, tu le peux : il faut s’habituer à imposer ses volontés au temps. Tous les anglo-saxons l’ont domestiqué à leurs heures fixes ; je ne vois pas que les français soient plus hommes d’affaires ni plus surchargés – partir à date fixe est une science, avec de la volonté, on y arrive toujours, si surchargé soit on.
Tendrement.

Octave


Octave Uzanne ne manque pas de finir une de ses lettres datant de la même époque   par : « Ecris moi poste restante St Raphaël, j’y ai tout centralisé et ça me donne le plaisir de voir ces aimables demoiselles des Postes. »


(*) Archives de l'Yonne, Auxerre, Fond Y. Christ

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