dimanche 7 octobre 2012

Octave Uzanne, Edouard Drumont, et La France Juive (1886) et autres livres antisémites.


Pour servir de complément au précédent article intitulé Octave Uzanne antisémite masqué-démasqué sous le pseudonyme de Theo-Doedalus : auteur de L'Angleterre Juive - Israël chez John Bull (1913), voici quelques informations glanées dans le premier catalogue de la vente de livres choisis d'Octave Uzanne (2 et 3 mars 1894) (*). Ces informations concernant l'exemplaire de la France Juive par Edouard Drumont (**), catalogué sous le numéro 151. Voici le descriptif complet :

151. DRUMONT (Ed.). La France Juive. Essai d'histoire contemporaine. Paris, Marpon et Flammarion, s.d., 2 vol. in-12, cart. dos de mar. cit., non rog., couv.
Edition originale.
Exemplaire tiré spécialement sur papier de Hollande, auquel on a ajouté UN DESSIN ORIGINAL D'EUG. COURBOIN, PLUS DIX-SEPT LETTRES AUTOGRAPHES, dont 16 de l'Auteur et une de l'imprimeur Darantière, plus une caricature en couleur par Coll.-Toc.

Voici le commentaire donné à la suite par le Bibliophile (Octave Uzanne) :

Le Bibliophile, sollicité, à propos de la France Juive, par son ami Drumont, ancien collaborateur du Livre, mit à la disposition de celui-ci toutes ses connaissances spéciales pour l'édition de ce livre qu'il fut le premier à lire en manuscrit et à encourager l'auteur à publier.
Il y aurait tout un curieux chapitre d'histoire contemporaine à écrire à ce sujet : "non hic est locus".
Le Bibliophile apporta une sorte de collaboration effective dans cette publication qui fit si grand bruit.
La correspondance d'Edouard Drumont consignée dans ce livre est exclusivement consacrée à la publication de la France Juive et au premier duel de Edouard Drumont, auquel le Bibliophile servit de témoin contre Ch. Laurent du Paris.


Nul ne sait ce qu'il est advenu de ce précieux exemplaire truffé de La France Juive ayant appartenu à Uzanne et qui, sans aucun doute, éclairerait bien des aspects liés à l'histoire de cette édition polémique. De la même façon il serait intéressant de connaître l'histoire du duel qui opposa Drumont à Laurent avec Uzanne comme témoin (investigations en cours).

Sous le n°152 Uzanne possédait, et proposait à la vente, un autre exemplaire de la France Juive (exemplaire également cartonné, dos de maroquin citron, non rogné). Egalement imprimé sur Hollande pour le Bibliophile. Envoi et lettre autographe. Il précise qu'il a fait relier à la fin du volume : la France catholique et athée (Réponse à la France Juive), par Alex. Weill, Paris, Dentu, 1886, in-16 de 84 pp.

Trois autres titres de Drumont étaient proposé au catalogue de mars 1894 :

n°153 - La Fin d'un Monde, étude psychologique et sociale. Paris, Savine, 1886, in-12, br. Exemplaire sur Hollande, avec envoi et lettre autographe de l'auteur.

n°154 - La Dernière Bataille, nouvelle étude psychologique et sociale. Paris, Dentu, 1890, cart. dos de mar. cit. Un des 50 ex. sur Hollande (n°27). Envoi et deux lettres autographes de l'auteur.

et enfin le n°155 - Le Testament d'un Antisémite. Paris, Dentu, 1891. Cart., dos de mar. cit., non rogné. Un des 50 ex. sur Hollande (n°6). Envoi autographe et lettre de l'auteur.

La question de l'Antisémitisme a été abordée semble-t-il pour la première fois par Uzanne dans un Echo non signé, paru dans la Chronique de la revue Le Livre, Bibliographie rétrospective, d'avril 1880 (p. 167). Uzanne, puisque c'est son style qui faut reconnaître là, signale des écrits antisémites publiés en langue allemande en provenance de Berlin :

"(...) la grande question du moment, celle dont tout le monde s'occupe du haut en bas de l'échelle sociale, c'est la question israélite, la Judenfrage. - C'est bien de Berlin que je parle, et non de Bucharest. - J'ai là sur ma table une montagne de brochures, pour et contre, sur cette question. L'Allemagne a toujours été le pays des gros bouquins et des petits fascicules. Cette grêle de libelles et leur retentissement dans le public est un phénomène moral, national et bibliographique des plus extraordinaires. Depuis un an ou deux, depuis que les journaux réactionnaires et le pasteur excentrique Stoecker ont posé la question au point de vue économique, - la religion, au fond, ne joue encore dans le mouvement d'un rôle secondaire et même presque à peu près nul, - il ne se passe pas de semaine sans qu'un nouveau pamphlet antisémité ne vienne augmenter la kyrielle déjà innombrable des anciens et battre en brèche la conjuration du silence, généreusement mais bien inutilement organisée par la presse libérale contre cette dangereuse agitation. (...)"

Drumont collabore au Livre pour les comptes rendus de certains livres (partir bibliographie moderne), certainement dès les débuts de la revue, et ce jusqu'en 1885.

Pour compléter la notice du catalogue Uzanne de mars 1894, voici une chronique parue au début du mois de septembre 1899 dans l'Echo de Paris (Chronique réimprimée dans le volume Visions de notre heure, p. 200-202, sous le titre "15 août - Edouard Drumont à Linas."), où il décrit une visite à Drumont en revenant sur la genèse de la France Juive :

"Nous discourions sur les singuliers hasards et sur les diverses contingences d'évèvements qui généralement concourent au succès d'un livre d'art, de littérature ou de polémique. - Est-il rien de plus fragile, de plus chanceux, de plus difficile à aiguiller que le succès ! Nous revivions la Genèse de La France Juive, son impression, sa mise en vente, les premières conspirations du silence. Les duels, puis l'éclat, les citadelles du mutisme prises d'assaut, la publicité déchaînée, le mouvement fatal, l'impulsion occulte, le triomphe de l'oeuvre."

Toujours à propos de La France Juive, il est intéressant de noter que Goncourt écrit dans son Journal à la date du 17 octobre 1891 : "Ça [La France Juive] faisait quatre volumes que Uzanne affirme avoir corrigés et réduits à deux." Ce serait à un dîner des Spartiates qu'Edmond de Goncourt aurait recueilli ces confidences d'Octave Uzanne. A lire Edouard Drumont dans Sur le Chemin de la Vie (Paris, Crès, 1914, p. 133), Octave Uzanne n'aurait été qu'un conseil, un "expert en matière d'imprimerie" ayant permis à Drumont de se mettre en rapport avec l'imprimeur dijonnais Darantière. Drumont précise avoir payé les frais d'impression avec ses économies de journaliste.

Quelle accueil la revue Le Livre a-t-elle réservé à la sortie en librairie de La France Juive ? Il n'y eut pas d'analyse ni de critique contrairement aux habitudes de cette revue. Sa parution fut ainsi signalée :

"Notre ancien collaborateur M. Edouard Drumont vient de faire un ouvrage en deux gros volumes in-18 : la France Juive, qui a fait grand bruit dans la presse. Malgré la vive amitié que nous professons pour notre camarade M. Drumont, ce livre a une expression pamphlétaire d'une telle violence que nous ne saurions en parler ici avec désintéressement et nous ne ferons que signaler cet ouvrage à nos lecteurs." (livraison de mai 1886 de la Bibliographie Moderne, Le Livre, p. 260).

En 1887 parait à Paris chez Albert Savine L'Algérie Juive de Georges Meynié. Le compte-rendu donné par Le Livre (Bibliographie moderne, 1887, p. 470) est signé des initiales F. G. :

"Nous ne nous rangeons pas, certes, sous la bannière de l'antisémitisme, mais nous serions prêt à partir en guerre contre les juifs que nous rougirions à voir donner si gauchement d'aussi pauvres raisons d'une déclaration des hostilités. Il n'y a pas de bonnes raisons, nous le croyons sans peine ; il y a du moins des passions, et nous aurions quelque honnte, les éprouvant, à les voir si misérablement légitimées ou excusées."

Enfin un autre ouvrage antisémite La politique israélite, politiciens, journalistes, banquiers. Le judaisme en France, étude psychologique par Kimou (Paris, A. Savine, 1889). Le compte-rendu, signé des initiales F. C., parait dans la revue Le Livre, livraison du mois d'octobre 1889, pp. 503-504 :

"Il n'y avait pas assez déjà des sujets de haine, assez de prétextes à se déchirer, à se diffamer, à se salir les uns les autres que la politique intérieure a introduits parmi nous ; les motifs de guerre intestine, si proche voisine de la guerre civile, que la division des parties suspend comme une menace permanente sur notre pays, n'étaient pas encore assez brûlants ni assez multiples ; nous étions trop forts par le nombre, nous formions un faisceau trop compact devant l'étranger ; quelques cerveaux sont hantés par l'idée fixe de revoir les beaux jours des guerres de religion, d'introduire en notre généreuse France les abominations, les hontes de l'antisémitisme. M. Edouard Drumont, qui a levé le drapeau, avait l'excuse d'une ardente passion et le double mérite de venir le premier et de combattre à visage découvert. Ceux que ses lauriers empêchent de dormir ou plutôt qui envient les forts tirages de ses livres devraient, au moins en cela aussi, l'imiter. L'écrivain qui signe "Kimou" affirme que par fatalité de race l'influence des juifs, en politique, ne peut être que pernicieuse, que la polémique de leurs journaux est essentiellement haineuse, que leur concours financier et politique est forcément une cause infaillible de ruine pour les gouvernements et pour les parties qu'ils circonviennent ; il leur attribue bien d'autres méfaits encore. Mais l'impersonnalité de l'accusateur nous laisse froid devant l'accusation. Pour prêcher la croisade, on s'appelle Saint Bernard, Pierre l'Hermite et même, si l'on veut, Edouard Drumont, on ne s'appelle pas Kimou."

Il est possible que cette critique soit de la plume d'Octave Uzanne, compte tenu du style et de sa proximité avec Edouard Drumont, son ami. Nous reviendrons prochainement sur ses positions dans l'Affaire Dreyfus qui fera l'objet d'un billet à part.


Bertrand Hugonnard-Roche



(*) Quelques-uns des livres contemporains en exemplaires choisis, curieux ou uniques, etc., tirés de la bibliothèque d'un écrivain et bibliophile parisien (2 et 3 mars 1894). Paris, Durel, 1894. 1 vol. in-8.

(**) Édouard Drumont est né à Paris le 3 mai 1844 et mort dans cette même ville le 3 février 1917. Journaliste, polémiste et écrivain français, fondateur du journal La Libre parole, farouchement antidreyfusard, nationaliste et antisémite. Il est également le créateur de la Ligue nationale antisémitique de France. Charles Maurras, dans son Dictionnaire politique et critique, dit que « la formule nationaliste est ainsi née presque tout entière de lui ; et Daudet, Barrès, nous tous, avons commencé notre ouvrage dans sa lumière. » Plus loin, Charles Maurras ajoute : « Chroniqueur merveilleux, historien voyant et prophète, cet esprit original et libre s'échappait aussi à lui-même. Il ne vit point tout son succès. » Édouard Drumont a aussi été classé par certains comme anarchiste de droite, bien que son attitude vis-à-vis de l'anarchisme ait été ambivalente. Il ne cache pas, en revanche, son antisémitisme. Drumont est converti par le jésuite Stanislas du Lac, qui l'aurait engagé à écrire La France juive et lui aurait fourni des fonds pour créer la Libre Parole. En 1885, Drumont publie un opuscule de quarante-trois pages intitulé Le vol des diamants de la couronne au garde meuble. Appelé à la direction du Monde en 1886, il publie, en avril de la même année, La France juive, qui atteint vite la 150e édition, et vaut à son auteur, en même temps que la notoriété, une condamnation à une forte amende et deux duels. Drumont publie ensuite, La France Juive devant l'opinion (1886), La Fin d'un monde (1889), La Dernière Bataille (1890), Le Testament d'un antisémite (1891), Le Secret de Fourmies (1892). En 1890, Drumont fonde la Ligue nationale antisémitique de France. Drumont critique le cosmopolitisme de ce qu'il appelle la race juive, ce qui s'oppose pour lui au nationalisme fort qu'il défend.

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