dimanche 26 février 2012

Calymanthe (1885) in L'âme nue par Edmond Haraucourt, auteur de la Légende des Sexes. Poème sensuel dédié à Octave Uzanne.


Calymanthe, poème dédié par Edmond Haraucourt à Octave Uzanne,
publié dans le recueil de poèmes intitulé L'âme nue publié en 1885.


Le hasard de mes lectures m'a fait découvrir, il y a de cela quelques temps déjà, un poème d'Edmond Haraucourt dédié à Octave Uzanne. Edmond Haraucourt est l'auteur de la sulfureuse Légende des Sexes que l'on connait, œuvre érotique qui dès sa parution, en 1882, déclencha toutes les critiques aussi bien que tous les enthousiasmes. Mais c'est ici dans un autre recueil de poésies de cet auteur que nous avons déniché ce poème dédié à Octave Uzanne. Edmond Haraucourt publie L'âme nue chez G. Charpentier à Paris en 1885. Ce recueil est constitué de deux grandes parties intitulées "La vie extérieure" et "La vie intérieure", chacune d'entre elles contentant de nombreux poèmes de style parnassien qui ne renient rien, pour certains, à la Légende des Sexes.


Tous les poèmes ou presque de ce délicieux recueil sont dédicacés à des auteurs renommés (Maupassant, Sainte-Beuve, Leconte de Lisle, François Coppée, Barbey d'Aurevilly, etc), ou moins renommés. Parmi ces derniers on notera le poème intitulé Calymanthe dédicacé à Octave Uzanne et l'Axe dédicacé à Félicien Rops. Les relations amicales ou litéraires qui pouvaient exister entre Octave Uzanne et Edmond Haraucourt restent à établir. Ce qu'on peut dire c'est que ce recueil ne passa pas inaperçu pour le rédacteur en chef de la revue Le Livre qui écrit ceci :

"Un admirable livre poétique, l'un des plus puissants qui aient paru dans la seconde moitié de ce siècle, où tant de lyres se sont transformées en mirlitons, un recueil de poésies philosophiques d'une envolée magistrale et dont Vallès eût fait certainement peu de cas : l'âme nue, d'Edmond Haraucourt, vient de paraître récemment chez Charpentier. Je ne sais quel sort sera réservé à cet ouvrage en une époque de veulerie et de mustine littéraire qui semble avoir domestiqué l'esprit national en le faisant écouter aux portes des boudoirs, des bouges et des cuisines ; je doute même de son succès, car la distinction suprême met un écrivain au rang des suspects ; ce que je sais et constate avec joie, c'est qu'un fier et véritable poète s'y révèle, qui ne se complait point dans le terre-à-terre descriptif des humbles, qui ne chante ni le calme épicier, ni la fille, ni la fleurette sentimentale, mais qui éclaire l'humanité avec un brandon glorieux qu'il s'efforce d'allumer au firmament des étoiles. Je ne connaissais Edmond Haraucourt que par une forte plaquette de vers publiée, sous un pseudonyme, il y a deux ans, en Belgique, pour quelques rares élus, non mise dans le commerce et qui avait pour titre : la légende des sexes, par le Sire de Chambley, in-8°. (...) L'âme nue est un livre d'une tout autre portée ; l'auteur a divisé son œuvre en deux parties : La vie intérieure, La vie extérieure. La première comprend : les Lois, les Cultes, les Formes ; la seconde : l'Aube, Midi, le Soir. Comme épigraphe générale, cet apophtegme de Bossuet : "Regardez en vous comme votre juge vous regarde et voyez ce qu'il y voit : ce nombre innombrable de péchés !" - Dans cette œuvre philosophique, M. Haraucourt a merveilleusement compris et rendu cette opinion du moraliste qui exige du caractère essentiel de la poésie une clarté suprême, qui demande que les vers soient de cristal, ou diaphane ou coloré ; "diaphane, quand ils ne doivent nous donner que la vue de l'âme et sa substance ; coloré, quand ils ont à peindre les passions qui l'altèrent ou les nuances dont l'esprit de l'homme se teint." (...) " in Nos amis les livres par Octave Uzanne, P., Quantin, 1886, pp. 230-236 (repris de la revue Le Livre pour l'année 1885).

On peut supposer qu'Haraucourt connaissait bien son homme Uzanne en lui dédiant un poème sulfureux et très sensuel où la femme est cette Bacchante qui attire pour perdre l'homme par ses mille furies. Le mieux est encore que vous vous fassiez une idée vous même en lisant ce joli poème. Nous reproduisons en tête de ce billet la page 188 de ce volume qui contient ce poème, ici photographié sur un exemplaire de l'édition originale, un des trente exemplaires sur papier de Hollande.

CALYMANTHE
A OCTAVE UZANNE


Calymanthe(*), l’enfer te ronge, Calymanthe,
L’enfer intérieur de ton propre désir…
Ah ! Sisyphe des sens, Tantale du plaisir,
Corps martyr et bourreau qui souffre et qui tourmente !

Tends tes bras, tends tes seins, fauve et lugubre amante !
Dis sous quels flancs tes flancs ont rêvé de gésir,
Dis vers quelle caresse impossible à saisir
Tu tords les spasmes veufs de ta lèvre écumante !

Bacchus seul a dompté les tigres d’Ancyra(**) :
Tu peux hurler vers eux, rien ne te répondra.
Meurs donc ! Il faut mourir d’avoir voulu trop vivre !

Brusque, elle s’est levée, elle entend ; fou d’espoir,
Son cœur tremble, le sang tourne dans sa tête ivre :
La voix des lions roux gronde dans l’or du soir.

Edmond Haraucourt, L'âme nue, 1885.

Bertrand Hugonnard-Roche


(*) Calymanthe, Thyade fougueuse que la mythologie représente se livrant aux bêtes. Une Thyade est assimilable aux bacchantes de la mythologie. Les bacchantes étaient principalement des femmes (mais il existait aussi des bacchants) qui célébraient les mystères de Dionysos-Bacchus. Les premières qui portèrent ce nom furent les nymphes nourrices de Bacchus, qui le suivirent à la conquête des Indes. Elles couraient çà et là, échevelées, à demi nues ou couvertes de peaux de tigres, la tête couronnée de lierre, le thyrse à la main, dansant et remplissant l'air de cris discordants. Elles répétaient fréquemment le cri Évoé, comme pour rappeler les triomphes de Bacchus sur les Géants. Leur fête, appelée Bacchanales, se célébrait autrefois en Grèce, en Égypte, et principalement à Rome. Euripide, dans la tragédie des Bacchantes, a laissé une description détaillée des ferventes de Dionysos, au moment où elles vont célébrer les mystères de ce dieu, en proie à l'extase furieuse qu'il leur inspire. À la fin de cette pièce, Penthée est puni pour avoir résisté à Dionysos : les bacchantes le déchirent avec un acharnement sauvage, y compris Agavé, la propre mère du jeune homme, qui dans son délire, brandit la tête de son fils qu'elle prend pour une tête de lion. Pour autant Calymanthe reste difficile à identifier et il n'existe à vrai dire aucune mention dans la littérature de cette déesse de l'amour en furie mis à part Alfred de Musset qui écrit dans son Gamiani ou Deux nuits d'excès : "Médor ! Médor ! prends-moi ! prends ! À ce cri un chien énorme sort d’une cache, s’élance sur la Comtesse et se met en train de lécher ardemment un clitoris dont la pointe sortait rouge et enflammée. La Comtesse criait à haute voix : Hai ! hai ! hai ! forçant toujours le ton à proportion de la vivacité du plaisir. On aurait pu calculer les gradations du chatouillement que ressentait cette effrénée Calymanthe"

(**) Ancyra (Angourish) est une ville de l'Asie mineure, dans la Galatie, chez les Tectosages et située assez près et au nord est du petit lac Cenaxis.


2 commentaires:

  1. Pourquoi donc aller chercher une ville chez les Tectosages, quand Pezenas aurait pu faire aussi bien pour la rime ?

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